il Campiello

[Stef*]

Mardi 19 mai

Elle est là! Assise bien au dessus de moi.
Dix-neufs marches nous séparent.
Assise...
Renversée à vrai dire.
Le bras gauche tendu vers le ciel, elle s'abandonne dans une large bergère à la peausserie rouge sang,
ses longues jambes élancées vers l'avant.
Une chevelure de charbon tirée soigneusement vers l'arrière.
Des lèvres gourmandes. Des yeux de braise.
Mais 'pristi! Les jambes!
Des jambes nues qui n'en finissent pas de ne pas finir.

Je suis seul à monter les degrés.
J'ai laissé Salomé à l'hôtel, toute à son sommeil. Un petit mot sur la table de nuit.

Je continue lentement à gravir les marches tendues, le regard raide vers le haut.
De lourdes grilles de fer ralentissent ma progression.
Sur ma droite, un pictogramme me dit d'entrer couvert.
En pénétrant les lieux, je perds la belle de vue.

Il y a quelques années, lors de mon dernier passage dans cette église-panthéon
que Scalfarotto a proposé à la Sérénissime, c'était un dimanche.
Il y avait une dizaine de fidèles et l'encens brouillassait à gros bouillons la rotondité de San Simeone Piccolo.
Aujourd'hui, jour de semaine, je suis seul.
La messe, l'unique en latin à Venise, touche à sa fin.
Le prêtre dos à la non-assemblée est debout face au mur-autel.
A genoux, un servant, tour à tour cérémoniaire, porte- lumières, thuriféraire, porte-croix, porte-navette et céroféraire fixe le crucifix.
Leurs labialises couvrent suffisamment mes pas et me permettent d'ignorer l'affichette de l'entrée: accès seul pour la prière.
Mes enrichiront le dossier Rive droite du Campiello!
Je laisse dernière moi les deux célébrants pour retrouver à l'extérieur ces longues jambes qui n'en finissent pas de ne pas finir
pour vanter les sacs et chaussures estampillés Roccobarocco.
Dans deux jours, je lirai en première page de la gazette locale la victoire des quelques paroissiens qui obtinrent finalement
la délivrance du petit Simon de ce lucratif mais ô combien trop sexy
C'est vite oublier qu'au début du dix-huitième siècle, pour récolter les fonds nécessaires à la reconstruction de l'église,
le curé surnommé Manera organisait chaque année une loterie ayant pour prix quatorze remises totales de peines temporelles,
soit autant d'allers simples pour le Paradis sans passer par la case Purgatoire!
Entre escroquerie et sensualité, mon choix est vite fait!

Tiens, en parlant d'aller au Paradis...
Pendant la nuit, sur le rio di Santa Giustinia, des malandrins ont bouté le feu à une des deux barques funéraires de la société Veritas.
Elles sont trois à se partager le marché du transport de nos chers défunts.
Depuis la libéralisation de ce marché décidée par la commune début décembre 2008, les incidents du genre se sont multipliés.
Le problème de disponibilité inquiète. Il ne reste aujourd'hui plus qu'une seule barque pour traverser l'Acheron.

Ce soir, en prélude au Paradis, une table au Mascaron... :D :D :wink:

[J@M]

C'est chaud ! Caniculaire même... (ou cannes et cul en l'air ?...)

[Zen]

un délice

[Stef*]

Mercredi 20 mai

De l'Enfer au Paradis...

On a tous des images plus ou moins précises de nos enfers, on a tous des visions plus ou moins nettes de nos paradis.
Cette journée de mercredi va me permettre de vous présenter un de mes enfers et de vous dévoiler un de mes paradis.

A chacun de nos séjours vénitiens, quelque en soit la durée, Salomé et moi déroulons l'irrévocable cérémonial
qui consiste à errer dans la boue et les roseaux, huile sacrée qui baptisa la cité de Venise.

Au point du jour, Fondamente Nove, nous prenons la linea LN direction Torcello et Burano.

Un de mes enfers, c'est un brouet méphitique qui convulsent des corps d'hommes hallucinés d'angoisse.
Un de mes paradis, c'est un bouillon aromatisé qui gambille la chair d'une anguille impassible de fraîcheur.

Torcello. Il ponte del Diavolo. Le ton est donné!
Mais ce mercredi, le spectacle est affligeant: le pont sans parapet derrière de grands filets grisâtres,
une grue chenillée à sont chevet. Une le ridiculise.
Cela fait des années qu'il sue sous les travaux et des béquilles de fer, avec l'interdiction de lui grimper sur le haut du dos.
Le Diable a-t-il également déserté Torcello, lui qui bâtit ce pont en une petite nuit?
Je rejoins rapidement la cathédrale et un de mes enfers.

Les yeux inondés d'une tristesse inouïe la chair de sa chair au bois de la croix.
En face, le
Je pourrais rester ici des heures!
L'enfer est là, en bas à droite...
De leurs grandes fourches, deux anges repoussent dans un torrent de feu les réprouvés qui tourbillonnent et valsent prisonniers de la fournaise.
Un noir antechrist envoie ses sombres gardiens tourmenter les orgueilleux encore parés de mille bijoux et pierres précieuses,
tirer la barbe fleurie de ceux qui furent princes et grands de ce monde.
Nus, les corps bancroches, les luxurieux ondulent dans un champ de flammes.
La nuit empouacre les goinfres et les coléreux.
Des nuées de serpents dévorent les yeux et la cervelle des envieux.
Les têtes des avares s'enflamment et l'obscurité charcute les membres des paresseux.
des damnés cent fois remise sur le métier, brouet méphitique qui convulsent des corps d'hommes hallucinés d'angoisse......

De l'Enfer au Paradis, il n'y a qu'un pas, dit la sagesse populaire...
Pour moi, il n'y a que quelques brasses.

Burano. La Trattoria Da Romano.
Romano Barbaro et les années trente ouvrent la grande salle de la via San Martino qui devient presque instantanément une institution.
Les célébrités du monde du cinéma, de la poésie, des lettres et des arts, de la politique et du gotha s'y pressent
comme les toiles des plus fins artistes de la scuola di Burano accrochées au coude à coude sur les murs blancs du Locale Storico.
En janvier 2008, Orazio, le fils de Romano après de nombreuses années derrière le long comptoir débordant de tartes meringuées,
de biscuits et de Malvoisie est rentré fatigué d'un voyage à l'étranger.
Il est monté se reposer pour ne plus se réveiller.
Linda sa femme, leur fils et petit-fils s'occupent à présent de l'armée de serveurs qui se soucie de vous comme si vous étiez des leurs.
Lotte, sole, turbo, daurade, bar, moules, praires, calamars en friture, al forno, alla griglia ont fait regretter la Guggenheim
d'avoir passé trois ans à Venise sans connaître Da Romano!
Et que dire de son risotto!?!
Deux litres d'eau, une belle anguille, un demi kilo de petits poissons bleus, oignon, ail, cerfeuil, parmesan et beurre.
Délice cent fois remis sur le piano, bouillon aromatisé qui gambille la chair d'une anguille impassible de fraîcheur.
Si j'ai pu vous mettre l'eau à la bouche, voici trois petites minutes qui peuvent vous offrir un avant-goût du Paradis...
http://www.daromano.it/index.php?option=com_content&task=view&id=23&Itemid=54

Aujourd'hui à Venise, une centaine de venditori abusivi, Sénégalais pour la pupart, se sont rassemblés sous les fenêtres de Cacciari
pour demander la solidarité et la fin de la discrimination...


Au programme ce soir, ciccheti, tramezzini et autres polpette.
Salomé et moi ferons la tournée des Grands Ducs et autres baccari: Al Ponte, Bancogiro, Alla Vedova, Ai Postali, Al veccio Carbonaro,
Pane e Vino et ...le Hard Rock Café... Ben oui, quoi! Cela fait deux jours que nous n'y avons plus été!

:D :D :D :wink:

[Blandine]

Oh, Stef*, Seigneur Dieu, comment veux-tu que l'on puisse encore dire quelque chose après tes descriptions extatiques !!!

Bon, je laisse tomber, je me tais ...

[Virginie]

Superbe, merci Stef* de prendre le temps de mettre en ligne tes émotions. J'espère qu'il reste quelques jours encore de ton périple pour avoir plaisir de lire tes récits.

[Jas]

Rhaaaaaaaaaaaaaaa ... plus que 11 jours
Quelle mise ne bouche
Merci Stef*

[Albert(o)]

Chapeau bas, Monseigneur Stef* !
Les faux plafons chez le fiston étant terminés, j'ai eu le temps de rattraper mon retard dans tes récis...

Crénom !
Entre Rabelais et Musset, il y avait une place...
tu l'a prise !
à quand, le livre ?
:wink: :wink: :wink: :wink: :wink: :wink: :wink: :wink: :wink:
Continue, tu m'inspires !

[Véra da POZZO]

je dirais même plus, tu m'inspires, continue.... :wink:

Et dire que je ne me suis encore jamais assis chez Romano....

[Martine]

Stef*, quel bonheur de te lire!
Torcello...la paix que l'on y ressent n'a pas d'égal...
Souhaitons que notre Ponte del Diavolo ne fasse pas trop neuf!

[Zen]

Ahhhh Stef*, quelle plume, quel talent ! c'est...
... encore

[Joelle]

Stéf*, ton enfer nous fait frémir
Mais ton paradis.......Ah, ton paradis

Je prends un aller sans retour, moi
Et que le voyage continue

[Canaletto]

il va donc falloir prévoir un voyage en groupe pour suivre ce merveilleux guide !

[Véra da POZZO]

Moi aussi, je veux bien m'inscrire....

Surtout si c'est lui qui nous invite aux restos, il a toujours de bonnes adresses de derrière les fagots.... :wink:

[Barocco]

pas le temps d'en dire plus!!!
merci Stef ******
à quand le bouquin???? :wink: :wink: :wink: :wink: