il Campiello

[Blandine]

S'il est peu de livres consacrés à Venise qui omettent de mentionner La Mort de Venise, je n'avais pas encore lu le fameux ouvrage de Barrès.

Voila qui manquait sérieusement à ma culture vénitienne mais il faisait partie de ces livres dont j'attends qu'il me tombent sous la main lors de déambulations chez les bouquinistes.



Textes de Maurice Barrès : La mort de Venise, suivi de Venise en dirigeable Palais et lagunes, La mort de Venise (1903) nous raconte la fascination de Maurice Barrès pour cette ville semblable à nulle autre. C'est en Dandy égotiste qu'il la découverte en 1892, c'est en poète qu'il la raconte plus tard dans La Mort de Venise. Il y retrouve les pavés des Fondamenti et des Zattere, les palais patriciens et les reflets de l'Orient sur les canaux. Cette nouvelle île des morts est heureusement égayée par Véronese et Tiepolo dont il nous conte les splendeurs. On y joint un texte bref qui nous décrit une Venise aérienne et en tenue de guerre : C'est Venise en dirigeable (1916). Un texte majeur de ce prince des poètes qui écrira dans sa trilogie du « Culte du Moi » : « C'est à Venise que j'ai décidé toute ma vie »

Alors, si l'on s'agace, certes, de cette Venise déliquescente qui fascine Barrès, on ne peut qu'être totalement subjugué pas sa plume éblouissante, fiévreuse et sublime. Quelle merveilleuse écriture !

Je vous en donne un passage. Il revient vers Venise, un soir d'automne, sa saison préférée, d'une longue promenade à Murano, Mazzorbo, Burano et San Francesco del Deserto.

"Tandis qu'à l'occident le ciel se liquéfiait en une mer ardente, sur nos têtes des nuages enivrants de magnificence renouvelaient perpétuellement leurs formes, et la lumière crépusculaire les pénétrait, les saturait de ses feux innombrables. Leurs couleurs tendres et déchirantes de lyrisme se réfléchissaient dans la lagune, de façon que nous glissions sur les cieux. Ils nous couvraient, ils nous portaient, ils nous enveloppaient d'une splendeur totale, et, si je puis dire, palpable. Vaincus par ces grandes magies, nous avions perdu toute notion du réel ..."

Que les auteurs modernes aillent se rhabiller quand ils parlent de "ronchonnements barrèsiens" !

A la suite de la Mort de Venise, l'éditeur a joint des pages de ses carnets écrits à Venise et, entre autres, une saisissante description de la ville en 1916 où il est venu rencontrer d'Annunzio pour une longue promenade qui s'achève à la nuit. On les imagine, les deux poètes, d'Annunzio pas encore remis de ses blessures s'appuyant au bras de Barrès et discourant ensemble.

Barrès s'amuse du Campanile tout neuf: " Son aspect de neuf lui donne l'air d'un intrus, l'air d'un géant qui serait venu de l'étranger demander en mariage la basilique et demeurerait là, gauche et figé en costume trop neuf ..."

Le lendemain, Barrès survola Venise en ballon.

"Voici la ville toute nette, ses îles, ses îlots, la mer et notre ombre comme un gros poisson qui nous suit dans les eaux. Venise, trésor glorieux, occupe le centre d'espaces ensoleillé par le couchant et qu'entoure la brume. Repos charmant de la ville bleue et rose, douce comme un duvet d'oiseau, au milieu de sa lagune laiteuse .... Venise elle même dans cette immensité claire semble une fragile créature dont je crois sentir la respiration, la palpitation délicate."

Alors, si vous ne l'avais pas encore lu ....

[alain]

Cette critique me comble de joie ...un des premiers livres que j'aie lus sur Venise

[babeth]

Le lyrisme de Barrès, sa plume orfèvre du français, d'accord; mais Barrès est aussi, pendant qu'il se promène parmi des nuages roses de Venise, parmi les inconditionnels jusqu'auboutistes nationalistes de la guerre ...que Romain Rolland surnomma "le rossignol des carnages" - il écrivait des articles , mais dans les tranchées, c'était les autres !

https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/picardie/aisne/histoires-14-18-romain-rolland-contre-maurice-barres-presse-champ-bataille-804273

[Blandine]

Je suis bien d'accord, mais il s'agit là de ce livre que je redoutais un peu de lire à cause de la réputation qu'on lui a faite.

Et c'est vraiment un enchantement d'écriture même si ce qu'il dit sur la déliquescence de Venise est agaçant !

[Joelle]

Voilà un débat bien à l'ordre du jour! (pour un tout autre sujet ):

L'oeuvre ou l'artiste???