Blandine

Inscrit le : 24 Fév 2008 Messages: 5931 Localisation : Rennes
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Posté le : Dim 21 Juil 2024, 13:59:29 Sujet du message: La Fileuse de verre de Tracy Chevalier |
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On connait le talent sans pareil de Tracy Chevalier pour nous ouvrir, de façon intime et juste, les portes du Passé. Avec elle, on entre dans l’atelier de Johannes Vermeer (La jeune fille à la Perle), avec elle, on partage le travail des lissiers (La Dame à la licorne) pour ne citer que ces deux romans magnifiques, sans oublier La Brodeuse de Winchester, mais il y en a d’autres.
Et c’est donc avec ce même talent qu’elle aborde l’histoire d’Orsola Rosso, fileuse de verre à Murano, dans un roman éclatant de vie, de couleurs et de sons.
Par un procédé narratif aussi original que brillant, les 75 ans de la vie d’Orsola vont se poursuivre sur 5 siècles d’Histoire vénitienne et muranaise, depuis la fin du XVe siècle, où l’on entre dans les tableaux de Bellini et Carpaccio, jusqu’à nos jours après la pandémie de Covid. On se presse, à toutes les époques, dans les calli vénitiennes, on se promène sur les fondamente de Murano, les femmes vont au marché, la lessive sèche sur le pré, les enfants jouent, les gondoliers s’invectivent avec force jurons dans la verte langue vénitienne, les fours ronflent dans les ateliers du verre, on marchande, on s’aime, on se quitte, on lutte pour survivre, on nait et on meurt, les mains agiles des impiraresse tressent leurs écheveaux de perles de rocaille et Orsola Rosso créé des perles de couleurs chatoyantes vertes comme les eaux de la lagune, jaunes contre la peste, rouges comme son nom tandis que le temps passe et change la vie de chacun.
Ainsi, Orsola a 9 ans, en 1486 au temps où Venise, souveraine de la mer Adriatique, rayonne sur le monde, au temps où le pont du Rialto est en bois, au temps où l’activité marchande est à son zénith. Elle a 18 ans, en 1574, quand la peste commence à répandre son voile de mort sur la lagune et menace l’atelier de la famille Rosso. Son histoire se poursuit quand la peste recule en 1631 où la grande église de la Salute va s’élever sur des centaines de milliers de pieux. Orsola continue de se perfectionner dans l’art de façonner les perles et la famille, endeuillée par la peste, se reconstitue. On rallume les fours, des mariages et de nouvelles naissances ramènent la vie. En 1755, Orsola a 29 ans, elle est mariée et mère d’une petite fille. Elle tourne dans la flamme des perles rouges avec une moucheture d’or comme la couleur des boucles blondes de son amant parti pour toujours sur la terraferma. L’atelier qui s’est relevé va être mis à mal par la commande fabuleuse d’un homme trop séduisant qu’il ne payera jamais pour cause d’enfermement aux Plombs. On devine aisément de qui il s’agit dans une Venise qui n’est plus souveraine que des tables de jeux des casini. 1797, à 37 ans, Orsola fait un collier pour Joséphine qui n’est encore que l’épouse d’un général qui se veut un Attila pour Venise. Au XIXe, la Sérénissime ploie sous le joug des autrichiens et les touristes commencent d’affluer dans une ville qui fascine les romantiques amoureux de la décrépitude. Au début du XXe siècle, la marchesa Cassati, entourée de ses guépards, promène son extravagance dans la cité lagunaire et l’Italie unifiée entre en guerre contre l’Autriche. Orasola a 44 ans, elle songe à ouvrir boutique à San Marco pour vendre ses perles aux touristes qui en 2019 arrivent en foule alors que l’aqua grande menace. Elle est maintenant grand-mère, elle appelle ses petits enfants en visio avec son téléphone portable et doit lutter contre la concurrence chinoise. Une nouvelle pandémie menace Venise …
Une fresque historique et une histoire intime. Tout est d’un parfait équilibre dans ce roman exceptionnel, le meilleur sur Venise que j’ai lu depuis bien longtemps !
Qui plus est, une superbe couverture ! |
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