il Campiello

[Vecellio]

Oups ! J'avais complètement oublié d'annoncer cette journée d'études qui s'est tenue le 16 décembre 2010 à Paris, organisée par l'Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti (IVSLA) et l'Institut National du Patrimoine (INP)...Pour tenter de me faire pardonner, je vais résumer chaque intervention :

- Nouveaux musées, nouveau visage de la ville, par Tiziana Favaro (architecte, Surintendenza dei Beni Architettonici e Paesaggistici di Venezia e della Laguna) : il s'agissait d'une présentation générale des travaux dans les musées de Venise, qu'ils soient communaux ou nationaux. Les grands chantiers entrepris depuis les années 1980 ont été rappelés, avec l'idée clef de "musée diffus". Cette intervention s'est conclue sur le projet de réhabilitation de la Scuola Grande della Misericordia et l'installation du Museo Diocesano dans l'ancien couvent de Sant'Appolonia.

- Musées de l'Etat, nouvelles perspectives, par Vittorio Sgarbi (surintendant du Patrimonio storico, artistico ed etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Venezia e dei comuni della Gronda lagunare) : non annoncée dans le programme initial, cette intervention fut l'une des plus remarquées vu la personnalité de Sgarbi. L'intervenant a rappelé comment il avait créé les pôles muséaux alors qu'il était ministre de la culture de Berlusconi, et a également évoqué certaines difficultés qu'il a pu rencontrées à cause de ses liens avec le très controversé président du conseil...
Dans le domaine plus proprement culturel, Sgarbi a reconnu que la création d'un pôle muséal à Venise n'a pas posé de trop grandes difficultés, comprenant notamment le Museo Correr, le Museo d'Arte Modera à la Ca'Pesaro et la Ca'Rezzonico (l'intervenant a alors regretté le "provincialisme" de l'ancien maire Massimo Cacciari, qui a préféré abriter au Palazzo Grassi la collection Pinault au lieu d'un ensemble de tableaux italiens du XVIIIe siècle d'un collectionneur privé). L'État, pour sa part, gère entre autres à Venise l'Accademia, la Ca'd'Oro, le Museo d'Arte Orientale à la Ca'Pesaro et le patrimoine des églises sauf celles relevant du patriarcat.
Enfin, a été évoquée la difficulté d'accès au Museo Archeologico, de compétence nationale, qu'on atteint après traversé toute une partie du Museo Correr, relevant de la ville, tout comme la méconnaissance par le public des salles décorées au XVIe siècle de la Biblioteca Marciana ; pour conclure ont été énumérés les différents projets d'exposition au Palazzo Grimani qui, s'il ne devrait pas de nouveau conserver les objets archéologiques de la famille du même nom (l'ensemble forme d'ailleurs le noyau initial du Museo Archeologico), abritera prochainement des manifestations consacrées à Bosch, Canaletto ou encore Vasari.

- La Fondazione Emilio e Annabianca Vedova, Magazzini del Sale, par Alfredo Bianchini (président de la Fondazione Vedova) : on doit à Renzo Piano, ami d'Emilio Vedova (1919-2006), le réaménagement de magasins de sel sur les Zattere afin d'en faire un musée monographique consacré à l'œuvre du peintre du XXe siècle. Cette institution se veut également un centre de recherches, conserve des œuvres inédites de Louise Bourgeois et proposera en mai 2011 une manifestation sur Anselm Kiefer.

- Les Galeries de l'Accademia, par Matteo Ceriana (directeur des Gallerie dell'Accademia) : Espace complexe façonné par Palladio et Massari, le musée devrait voir ses grands travaux d'aménagement terminés en 2011. Le circuit actuel, suivant un grand quadrilatère, est issu du 19e siècle, mais l'on doit à Carlo Scarpa la muséographie sobre et réfléchie mise en place après la Seconde Guerre mondiale. Scarpa avait notamment conçu la salle de la Scuola di San Giovanni Evangelista, avec ses grandes toiles placées très bas (une influence des affiches de cinéma, selon Ceriana) ainsi que la première salle, où l'on progresse de manière presque liturgique jusqu'au Polyptyque Lion de Lorenzo Veneziano. Cet espace devrait être peu modifié, mais inclura toutefois des lunettes peintes du 17e siècles en haut des murs.
Le circuit repensé comprendra au rez-de-chaussée (libéré de l'Académie des Beaux-Arts) les toiles de la Scuola de San Marco (sauf deux aujourd'hui à la Brera à Milan) ou encore les toiles du 18e siècle de la Scuola di San Cosma e Damiano (sauf certains tableaux, également à la Brera...) ; dans le salone dei Lazzari sera placé véritablement comme un plafond Le Triomphe de la Croix de Tiepolo (toile aujourd'hui dans la salle 11 et qui sera remplacée par la Pietà de Titien, ainsi mieux valorisée) ; une salle Canova présentera des plâtres originaux de l'artiste. Quant à la Vecchia et la Tempesta de Giorgione, toutes deux commandées par Gabriele Vendramin, leur présentation n'est pas encore tout à fait définie : faudra-t-il les placer avec les allégories de Bellini ou parmi les autre tableaux de Giorgione ? En tout cas, on annonce un musée bénéficiant de 12 000 m² d'exposition (soit l'équivalent des Offices !) qui permettraient d'exposer au moins 300 œuvres en plus des 400 déjà visibles, ainsi que la présence de laboratoires photo et de restauration.

- La Restauration du palais royal, par Jean-François Zieseniss (président du Comité français de sauvegarde de Venise) : situé place Saint-Marc, le palais royal de Venise connaît aujourd'hui un certain désintérêt à cause de son origine napoléonienne et de son occupation successive par les Habsbourg et les Savoie, et de l'opprobre longtemps jeté sur le néoclassicisme, défini il y a peu par certains de "style frigidaire"...Le palais occupe l'emplacement de l'église San Geminiano, non centrée d'où "l'harmonisation" opérée lors de l'occupation française. Toujours en cours, le chantier de restauration a commencé par le portique San Geminiano, qui a retrouvé éclat et dignité, s'est poursuivi avec le grand escalier d'honneur qui a souffert de problèmes d'infiltration, puis dans le vestibule débarrassé d'un badigeon pour être rendu à sa légèreté néoclassique.
Sont aussi concernés par cette campagne, encore en cours, la grande salle de bal (achevée au début des Habsbourg par Giuseppe Borsato, disciple de Percier et Fontaine), la salle ovale (au décor pompéien, qui servait de salle à manger au prince Eugène de Beauharnais, gendre de Napoléon), la salle des audiences de l'impératrice (Sissi !), le studio de Sissi (pour lequel on préféré retenir l'état autrichien et non celui néoclassique), le boudoir Sissi, la chambre de l'impératrice (avec un plafond de Bevilacqua remontant à 1810), l'antichambre et les appartements de l'empereur. Ces derniers espaces, pour l'instant assez délabrés, devraient être rendus à la visite dans un circuit valorisant les deux figures "romantiques" de Napoléon et Sissi.
Malgré les attaques virulentes qui ont eu lieu au moment de l'achat d'une grande statue en marbre de l'empereur (sculptée par deux élèves de Canova et érigée en 1810 sur la Piazzetta par la chambre de commerce de Venise afin de remercier Napoléon de l'établissement d'un port franc) pour le musée Correr, la Venise napoléonienne bénéficie aujourd'hui d'une certaine réhabilitation, l'intervenant affirme d'ailleurs que Napoléon n'eut jamais aucune mauvaise intention au sujet de la Cité des Doges...

- Palazzo Grimani, le chantier de restauration, par Annalisa Bristot (conservateur des Beni Architettonici e Paesaggistici di Venezia e della Laguna) : acquis par l'État en 1981 dans un état total d'abandon, ce palais a bénéficié d'une restauration sur près de 20 ans pour rouvrir en 2008. Proches des courants humanistes locaux mais également sensibles aux nouveautés de la culture d'Italie centrale, les Grimani firent bâtir au XVI siècle ce palais où intervint d'abord Giovanni da Udine, élève de Raphaël et auteur de stucs dans la salle de Callisto (1537-1539). La salle de Psyché fut décorée par Camillo Mantovano, Francesco Menzocchi et surtout Francesco Salviati, artiste toscan qui s'était fait connaître par des décors remarquables à Rome. On retrouve dans la salle d'Apollon Giovanni da Udine, aux côtés de Cecchino Salviati (élève de Francesco), qui peignit de délicats scènes narratives ; une lunette à l'iconographie complexe, en haut d'un mur de cette pièce, est attribuée à Menzocchi et Lambert Sustris, lequel avait rencontré Salviati à Rome.
Le palais fut agrandi dans les années 1560 par Giovanni Grimani, avec des solutions proches de Palladio dans le grand escalier rappelant celui de la Scuola della Carità, mais aussi l'emploi de marbres de couleurs. Ainsi la tribune, reconstituée avec des œuvres antiques. Ce palais comprend par ailleurs de rares exemples conservés à Venise de bandes de papier peint de la fin du 15e siècle_ en fait, du coton traité par impression, à l'aide de plâtre, peint par pochoir à la détrempe : les surfaces attaquées par les micro-organismes ont été traitées, et les lacunes complétées par des reproductions de motifs.

- Palazzo Grassi et la Pointe de la Douane, par Martin Bethenod (directeur du Palazzo Grassi et de la Pointe de la Douane) : inauguré en avril 2006 avec Where Are We Going ?, le Palazzo Grassi se compose de 30 salles réparties sur 2500 m², dont 500 pour l'atrium.
La Punta della Dogana compte 18 salles autour d'une salle carrée de 16 mètres de côté, et permit de rendre un quartier à la vie : l'espace fut ouvert en juin 2009 avec Mapping the Studio, présenté sur les deux sites. Depuis 2006, la Fondation Pinault a accueilli 1,2 million de visiteurs, soit environ 350 000 par an, en présentant 500 œuvres par plus de 100 artistes. Martin Bethenod a insisté sur le besoin d'ouverture permanente des lieux et évoqué différents projets : une nouvelle exposition, Éloge du doute, ouverte entre 16 et 18 mois à la Pointe de la Douane, et Le Monde vous appartient au Palazzo Grassi durant l'été 2011, sans oublier des conférences et des films d'artistes.

- Les musées de la ville, la ville des musées, par Giandomenico Romanelli (directeur de la Fondazione Musei Civici Veneziani) : à Mestre, un nouveau musée intitulé M9 devrait être consacré au 20e siècle. A Venise même, François Pinault a tenu à appeler la Pointe de la Douane un centre d'art contemporain : ainsi une nouvelle réalité muséale amène de nouveaux modèles De même le palais Fortuny n'est pas un musée véritablement, mais un laboratoire, donc un lieu mixte. Près de la Ca'Pesaro, le palais Corner a été récupéré pour être affecté à une activité muséale pas totalement figée, puisqu'il devrait accueillir la collection d'art contemporain Prada mais aussi une autre exposition au moment de la Biennale. Le Musée Correr compte aussi organiser des expositions d'art contemporain. Après la Fondazione Vedova, un projet consacré à Zoran Music verra-t-il le jour ? A Venise, le musée apparaît comme la dernière forteresse du territoire.

- Conclusion, par Vincent Noce (journaliste à Libération) : coexistent aujourd'hui deux Italies, celle des media souvent décriée, et puis l'autre. Venise apparaît comme un cas particulier, marqué par le poids des permanences, stimulant donc la capacité des architectes à s'adapter aux lieux. On observe également en Italie un mélange du privé et du public assez différent de la situation française. Si le besoin de créer l'événement se fait sentir et peut être justifié, comme au Palazzo Fortuny et plus globalement pour l'art contemporain, existe un risque de "flash". Le poids du monde politique en Italie renvoie au délicat problème des crédits, pas moins gênant que la montée des identités régionales. Un courant européen se révèle donc nécessaire...comme le prouvait cette journée !

[Virginie]

Que d'infos !!! Super Vecellio toutes ces nouvelles !

[LAURETT]

Merci Vecellio pour toutes ces informations passionnantes !

[Christian il Veneto]

toujours aussi passionnant
merci

[Barocco]

merci Vecellio.. :wink:
Tu peux toujours espérer qu'ils aient besoin d'un consultant français... :wink: :wink: :wink:

[J@M]

Merci de nous avoir permis de profiter de toutes ces informations :D :D :D

[Vecellio]

De rien ! Il a été beaucoup question de ce palais Grimani, même si j'ignore encore jusqu'à quel point ont été restaurés les peintures et les stucs, vu l'état de délabrement du monument lors de son achat par l'État...en tout cas, j'avais beaucoup apprécié la visite du palais lors de mon dernier séjour à Venise, ayant pris près d'une cinquantaine de photos, que je compte bien publier sur Facebook une fois que j'aurais le temps !

[Martine]

[Vecellio]

Le Palazzo Grassi a pendant longtemps été un lieu destiné à des expositions temporaires, souvent de très grande qualité comme celle sur Venise et le Nord (autour des relations artistiques entre Flandres et Italie à la Renaissance). Je ne connais pas précisément les conditions d'achat du Palazzo Grassi mais il me semble que l'opinion de Sgarbi était loin de prévaloir chez les intervenants, dont l'un a dit que le Palazzo Grassi serait devenu en quelque sorte un doublon de la Ca'Rezzonico s'il avait abrité un ensemble de peintures italiennes anciennes venant d'une collection privée (d'autant que la Ca'Rezzonico abrite, outre des espaces plus particulièrement consacrées au Settencento vénitien, des salles conservant les collections Egidio Martini et Mestrovitch...).
Je me rallie plutôt à cette dernière opinion : bien que n'étant pas un fan d'art contemporain, je dois reconnaître que les œuvres Pinault sont superbement présentées au Palazzo Grassi comme à la Pointe de la Douane, et je serais plutôt enclin à défendre la Cité des Doges comme un lieu en prise avec la création actuelle, même si mon premier amour reste l'art ancien. :wink:
Bien entendu, l'avis de Sgarbi n'engage que lui, et l'on sait combien ses propos peuvent susciter la controverse, mais cela a au moins le mérite de créer le débat !

[Martine]

Merci de ta réponse, Vecellio...qui éclaire ma lanterne!

[aramis]

Avec beaucoup de retard, bravo pour le succès au concours mais aussi pour les précieuses informations qui donnent à voir la muséographie vénitienne sous un autre jour.