Énigmes de Stef*           Le Tableau           Mise en page Jas
 

Prologue :  Boezinge, cavée des mûriers, dimanche 25 octobre 1914.

Le colonel Swolfs, passablement éméché, recommence ses invectives à l’arrivée du brancard  sur lequel gît le soldat Rathe, la jambe gauche brisée par la mitraille allemande.
-Prend mon revolver, lâche, et brûle-toi la cervelle s’il te reste un rien de dignité.
-Je n’ai que faire de votre arme. Je suis innocent!

Deux jours plutôt, un conseil de guerre expéditif a condamné à mort le soldat Petrus Rathe, originaire de Damme, convaincu à la diable de s’être rendu sans raison à l’ennemi, et ce malgré son éprouvante évasion.
Fusillé pour l’exemple, avait hurlé le colonel Swolfs.
-Tu mourras donc comme un lâche. Sergent, emmenez ce traître à la dix-septième trogne de la cavée!
Deux infirmiers soulèvent le douloureux bard. L’intolérable cortège s’engouffre dans la cavée.

A la hauteur du dix-septième mûrier, l’aumônier militaire et douze hommes sortent d’un bosquet décharné.
-Colonel, la blessure du soldat Rathe le rend incapable de se tenir debout, s’inquiète l’abbé Nelissen.
-Ficelez-le à son brancard et dressez le tout contre ce tronc. Qu’on en finisse au plus vite, Messieurs!


Les brancardiers garrottent le blessé avec les courroies de la civière et adossent l’absurde montage
à la dix-septième trogne de la cavée des mûriers.
Malgré la douleur qui lui vrille tout le côté gauche, Petrus Rathe, les yeux maintenant bandés, une petite étoffe d’un blanc douteux fixé à la hauteur du coeur, réclame l’abbé Nelissen.
Par deux fois, le colonel Swolfs empêche le prêtre de rejoindre le condamné.
Et puis subitement, dans une roulée d’injures, il pousse l’homme de Dieu vers Rathe:
-Hâtez-vous, l’Abbé, si vous ne voulez pas prendre une balle perdue!
L’aumonier en pleurs tremble un crucifix de nacre et toussaille une maladroite prière aux agonisants.
-Votre âme à Dieu, Petrus.
-Mon Père, ils comprendront bien vite leur erreur. Je suis innocent. J’ai fait mon devoir.
Allez trouver mes parents. Racontez leurs. Remettez leurs la lettre d’adieu que je vous ai confiée hier.
-Écartez-vous Nelissen! Mes hommes ont l’arme en joue, vocifère alors le colonel Swolfs.


La folie des hommes déloge brutalement une trentaine de merles de la charmille flétrie. Une petite étoffe d’un rouge douteux se ventrouille au pied de la dix-septième trogne de la cavée des mûriers.

 

Tante Berthe ?
- Appelle-ton père, mon poussin. Qu'il alerte le Campiello sans plus tarder !
Il est à Venise ... une porte prodigieuse !       ... Suite :