- Oui, je suis bien Colleoni. Bartolomeo Colleoni. Il famoso condottiere !
Me dit la statue ; d’une voix de bronze.

Hébété je le regardais descendre de son cheval, glisser de son piédestal dans un grand bruit de ferraille.

- Bon sang que ça fait du bien de se bouger un peu après tous ces siècles.
Dit-il en s’étirant, puis m’interpelant d’une voix brutale …
- vous là ! serait-ce trop vous demander que de m’aider à me débarrasser de toute cette quincaillerie ?

C’était à mon tour d’être pétrifié, sur le campo les gens vaquaient à leurs occupations, un groupe de touristes passa à nous frôler … sans un regard pour nous.
Nous étions comme dans une bulle verdâtre, l’air y était plus épais et sentait … le renfermé.

- Oui, je suis bien il Colleoni ! Ma pauvre mère m’a mis au monde en 1400 à Solza. Je dis ‘pauvre’ car elle fut rapidement enfermée à vie. Quant à mon père, il est mort quand je n’avais pas d’âge ! Tout cela forge un caractère. J’avais à peine vingt ans et je commandais déjà un détachement de cavaliers.

C’est alors que j’ai arboré fièrement pour la première fois mon blason : trois boules en forme de poire symbolisant au monde mes trois...testicules ! Riez, Mesdames, aux mauvaises langues qui vous diront que malgré cela je n’eus que des filles, huit au total ! Mais ce dont je suis le plus fier, c’est de ma "flotta della Serenissima del Garda".

Imaginez la scène ! Une trentaine de navires de guerre acheminés sur le lac de Garde pour le reprendre au Milanais. Remonter l’Adige depuis son embouchure jusque peu avant Rovereto aux mains des ennemis et là, tirés par quelques deux mille boeufs, mouiller devant Torbole pour y affronter et défaire la flotte ennemie. J’vous raconte pas la tête du Duc de Milan !

Bon, d’accord ! J’exagère un peu. La victoire ne fut pas immédiate, que du contraire. Mais...

Les vénitiens ont su séduire mon âme et...mon portefeuille ! Je devins Capitaine Général de la Sérénissime jusqu’à ma mort, le 2 novembre 1475 à Malpaga.

Depuis, je repose ici à Bergame, dans le mausolée familial que j’ai fait ériger dans une abside de Santa Maggiore. Ma fille Médea est à mes côtés.

Si vous revenez un jour me saluer, vous entendrez peut-être le chant délicat d’un oiseau se jouer du silence de ma chapelle. C’est le fragile ramage du piaf préféré de Médea, enseveli avec elle...  

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