Le Campiello perdu

Nouvelle d'Albert Valée

Elle avait écrit au dos de la carte : " j’ai loué un duplex dans une maison sur ce campiello entre le 13 et le 18 août. C’est dans Santa Croce, tu trouveras bien. Si tu ne viens pas, je saurais à quoi m’en tenir ! "

Pas même une signature mais qui d’autre que Sandrine aurait pu m’envoyer cette carte postale de Venise ?

Et puis ce goût du mystère, du rébus et des petits pas… c’est par ici ? Non ! Par-là ? Peut-être bien… avec elle, jamais de certitudes sauf cette phrase : " Si tu ne viens pas, je saurais à quoi m’en tenir ! "

Là au moins, c’était limpide.

                   La petite vieille qui m’avait ouvert la porte n’avait plus d’âge depuis des lustres. À vue de nez, elle avait plus que probablement doublé son temps depuis la date de péremption.
- Parlez-vous français ? - avais-je demandé bêtement. C’est vrai ! Connaît-on question plus idiote ? Si elle ne le sait pas, comment diable comprendrait-elle le sens de cette interrogation !

J’avais vu juste car je n’étais pas encore au bout de cette courte phrase que ses paupières glissèrent sous son front pour en accentuer le savant plissage du temps.
- heu !… parlare franchese ?
- No !

C’était bien ma chance. Les autres portes du petit campo s’étaient déjà chargées de me dire la même chose.
- No ! No !

D’ailleurs, depuis mon arrivée à Venise, je n’avais entendu que cela ; No !
C’était Sandrine qui se débrouillait en italien, pas moi. Les autres fois, quand nous étions venus nous perdre dans cette ville, elle faisait office de traductrice. C’était nettement plus pratique.

              Ce matin, en arrivant à Venise et sitôt débarqué du train, je m’étais assis sur les marches de la station Santa Lucia et j’avais déplié le plan. Peine perdue. Retrouver quelque chose que l’on ne connaît pas dans une ville qui m’est toujours restée inconnue, faut un sacré moral. Moi, cela faisait plus d’un an que je n’avais plus de moral. Sandrine l’avait placé dans sa valise avant de se tirer. Pas intentionnellement… ça c’est certain puisque, à l’époque, elle ne voulait plus rien qui vienne de moi.
Mais qu’est-ce qui lui avait pris à Sandrine ?

 

 

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