L'ombre de Venise

Nouvelle d'Albert(o)

         Probablement ne l’avez-vous jamais vu, jamais aperçu et pourtant, il fait partie de ce monde que vous fréquentez ; oui mais voilà, pour le voir...

Je l’avais rencontré par un petit matin difficile, ce genre de matin qui prolonge la nuit sans vraiment vouloir lui succéder.
Il se dépêchait sur les Zattere, dos rond, chapeau usé enfoncé jusqu’aux oreilles, et que dire de son manteau, couleur de nuit incertaine, qui tranchait franchement sur les façades aux mille tags

de la dogana di mare, à moins que ce fut au niveau du magasin au sel… la nuit s’attardait aussi dans mon esprit.

Appareil photo en bandoulière j'espérais piéger sur San Giorgio Maggiore un soleil encore plus paresseux que moi mais c'est une ombre qui m'a chopé en cette fin de nuit triste et humide.
On ne choisit pas toujours son destin.

C’était un clochard, un de plus, une ombre de Venise, la face cachée de sa magnificence.  Vous me direz : toutes les villes possèdent leurs ombres !  D’accord !  Mais en ce triste matin, l’esprit obtus de l'amoureux de Venise que j’étais, se refusait encore à l’admettre.

Cette ombre donc se dépêchait vers un ailleurs qui l'aurait absorbé et dans lequel elle pourrait se dissimuler aux yeux des importuns, des touristes... autant dire, de moi.

Est-ce cette quête du néant qui m'a poussé à la suivre, ou ce sentiment étrange de lui ressembler dans ma vie hors de la Sérénissime ?

Je lui emboîtai le pas, de loin dans un premier temps car les Zattere sont larges et dégagés,

de plus près ensuite lorsque la grisaille des ruelles voulut absorber cette ombre comme un buvard gigantesque l'eut fait d'une simple tache.

Ce matin-là, je le perdis de vue dans un quartier qui m'était inconnu car, en parfait touriste lambda, je ne connaissais de la ville que ses musées, ses palais, son faste et ses dorures.  Là, tout n'était que pauvreté et tristesse dans une atmosphère de début de journée qui se refusait au doux soleil d'automne

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