il Campiello

[Joelle]

Lundi 10 novembre, Arte diffusera « L"Incoronazione di Poppea » (Le Couronnement de Popée) de Monteverdi, opéra créé à Venise au Teatro dei SS Giovani et Paolo (1642 ou 1643)

Pourquoi L’Incoronazione…. est un opéra majeur

A la fin du 16ème siècle la musique vocale est polyphonique. Grâce à des compositeurs virtuoses (Roland de Lassus et Palestrina entre autres) elle connaît son apothéose. Mais , à force d’entrelacer les voix (2-4-6-10) ils ont atteint une telle complexité que les textes chantés sont devenus totalement incompréhensibles . Même si la musique religieuse n’a jamais été aussi belle, l’Eglise s’inquiète : comment les fidèles pouvaient-ils suivre le texte de la lithurgie ? ? ? :? :?

A Florence, quelques aristocrates humanistes se mettent en tête de redécouvrir la musique des Grecs… Un savant classique, vivant à Rome Girolamo Mei, affirme que les tragédies de l’Antiquité étaient chantées et non parlées. (En fait rien ne le prouve, il semblerait plutôt que chant, danse et déclamation se succédaient) . Mais pour ressusciter cet art, il fallait résolument tourner le dos à la polyphonie, et revenir à une écriture plus simple, «monodique », un chant à une voix accompagnée (chant + accord) ou non (chant seul). C’est à Vincenzo Galilei (oui-oui, le papa de Galileo ! ! !) que l’on attribue l’origine de ce nouveau style musical (encore plus proche du récitatif que de l’aria).

Très rapidement nos musiciens « chercheurs » florentins, vont se lancer dans l’aventure jusqu’à la grande année 1600, où Jacopo Peri présente sa musique sur un livret original d’Ottavio Rinucini, Euridice, à l’occasion du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis . Le succès fut d’estime mais qu’importe, dans l’assistance se trouvait Vicenzo Gonzaga, duc de Mantoue, accompagné par un musicien de sa cour, Claudio Monteverdi .

1600 – Jacopo Peri- Euridice: l’opéra est né. (Même si ce n'est pas encore un "opéra", symboliquement on retient cette date et cette oeuvre pour fixer la naissance du théâtre lyrique)

Les années suivantes ont été balbutiantes pour l’opéra (que l’on nommait Dramma per musica) jusqu’à ce que Monteverdi compose son Orfeo en 1607 à Mantoue. La suite, vous la connaissez, Monteverdi doit quitter Mantoue, il est nommé à Venise maître de chapelle de San Marco, poste qu’il occupe de 1613 à 1643.

Au terme de sa vie, il va composer L’Incoronazione di Poppea, premier grand chef d’œuvre de l’opéra avec récitatifs, air, ensembles…. Plus de figures mythologiques, mais des personnages « humains », et surtout le triomphe du Mal, puisque les amants diaboliques et sanguinaires verront leurs crimes payer et leur passion triomphée

Qu'est-ce que vous dites de ça


Pour me permettre de vous faire cette petite présentation, j’ai rafraîchi mes trop lointaines connaissances grâce aux ouvrages
Suivants :
L’invitation à la musique – Roland de Candé
Histoire de l’opéra – Richard Somerset-Ward
Une histoire de la musique – Lucien Rebatet
Opéra – Andràs Batta

[wagon lits]

[Joelle]

La preuve de la modernité de l’Incoronazionne di Poppea :

Au XVIIéme Venise est déjà une destination « touristique » : le carnaval qui dure 6 à 8 semaines attire des visiteurs de toute l’Europe . Voilà qui vient chatouiller la fibre mercantile de notre bonne société vénitienne ! ! ! ! :wink: :wink:

Les Grimani, Vendramin, Contarini possédaient des théâtres à usage privé, pour lesquels ils commandaient et faisaient représenter des spectacles musicaux, sans attacher une grande importance à ces œuvres dont la plupart ont été malheureusement perdues .

Quand vers les années 1630, la famille Tron voit son teatro San Cassiano, détruit dans un incendie, elle s’interroge sur l’opportunité de reconstruire un édifice qui ne serait plus à leur usage exclusif, mais ouvert au public moyennant un droit d’entrée payant ? ? ? ?

1637 – Le teatro San Cassiano devient la première salle de théâtre lyrique du monde, la première maison d’opéra. Les Tron en confient la gestion à deux musiciens venus de Rome. Dépendant entièrement des recettes perçues, ils établirent une première saison d’opéra qu’ils proposèrent au public, et n’eurent aucun mal à remplir leur salle !

Et puisque l’accès est public (et payant), il s’agit de faire venir le maximum de spectateurs, sans distinction de classe sociale. Il faut donc présenter des œuvres susceptibles de plaire au plus grand nombre. Une seule solution, dépoussièrer les livrets de tous ces « dramma per musica » et autres « favola in musica » qui ne mettaient en scène que dieux, nymphes, personnages mythologiques et figures allégoriques, et faire enfin place au réalisme.
Sang, sexe et fureur, la recette magique qui jamais ne déçoit ! ! ! :wink:

Quand Giovanni Francesco Busenello termine le livret de « L"Incoronazione…. » nous ne sommes pas loin du théâtre shakespearien ! Scènes dramatiques et comiques se mêlent en alternance, le bon peuple est représenté, lui aussi avec son bon sens populaire, sa gouaille et son regard ironique ; valets et nourrices ne se privent pas de commenter les agissements de ces grands personnages, esclaves de leur passion ou de leur ambition.

Trente ans après sa mort en 1643 Monteverdi est totalement oublié, Mozart, Rossini, n’en entendront jamais parler !

[Barocco]

chapeau Joelle... et merci.. :wink: :wink:
je verrai si l'heure nous permet de capter Arte... :wink: :wink: et si ensuite je tiens jusqu'au bout !!! je ne connais pas trop :? :wink:

[Blandine]

Merci, ,Joëlle, pour ton dossier passionnant que je viens de lire avec, flottant délicieusement dans ma bibliothèque, les concerti per violino du cher Vivaldi.

J’ai appris nombre de choses que j’ignorais tout à fait : quelle bonne idée de nous faire partager ton savoir !

Peux-tu me donner l’horaire de la diffusion, je n’ai pas le programme tv …


Et pour l’anecdote, tiens donc, encore la famille Tron ! Grâce à Franco qui maitrise avec un art consommé le vénitien, nous avons pu nous entrainer à la prononciation très complexe de ce mot, ni « on », ni « an », mais un truc mystérieux qui vient de derrière le nez, je vous assure, il faut essayer ! :wink: :wink: :wink:

[Macha]

Joëlle, comme Blandine, je prends grand plaisir à lire tes dossiers sur la musique vénitienne.

Le hasard fait que nous écoutons en ce moment "Orfeo" :wink:

Lundi, nous ne pourrons regarder Arte, étant de passage dans notre maison du Morbihan, où nous n'avons pas la télévision. :(

Connais-tu le Dvd du "Couronnement de Poppée", dirigé par Harnoncourt jeune, en 1979, décor et mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle ?
C'est un enchantement. Il est sorti il y a un ou deux ans.

[Blandine]

Bon, les horaires, pour ceux qui sont intéresses, 22h40.

Je les ai pris sur le net. Petite anecdote: il est noté que c'est en " 3 épisodes"

[Gérard]

L'empereur romain Néron est marié depuis 53 avec Octavie .
Poppée, la plus belle femme de Rome, est aussi la maîtresse (ou l'épouse, on ne sait pas exactement) d'Othon, le futur empereur, qui, lui, est sans doute l'ami le plus cher (dans tous les sens du terme) de Néron.
Othon vante à son impérial copain les charmes de sa jolie petite amie (ou charmante petite femme). L'empereur insiste pour s'en rendre compte de visu… et ce qui doit arriver arrive : le maître du monde romain tombe amoureux fou de la maîtresse de son meilleur ami.
Mais Poppée est non seulement prodigieusement jolie, mais aussi extraordinairement ambitieuse : la fieffée coquine se refuse au Maître du monde romain tant qu'Othon n'aura pas débarrassé le plancher et que Néron ne lui aura pas promis solennellement le mariage.
Néron, pris dans les rets de la belle intrigante, tente de convaincre son pote Othon de s'effacer. Celui-ci, peu soucieux de jouer le rôle d'un nouvel Amphitryon, renâcle. L'empereur commence à la trouver saumâtre : il tempête, menace. Finalement, le meilleur ami de Néron cède, mais est puni de sa mauvaise volonté par un exil en Lusitanie… autant dire au Diable Vauvert !
La voie étant libre, les deux tourtereaux peuvent roucouler à leur guise. Mais, pour la bague au doigt, Poppée devra encore attendre, car, même s'il n'a jamais pu consommer cette union qu'il estime incestueuse, Néron est toujours très officiellement marié à Octavie, et celle-ci, encore très populaire à Rome, est, pour l'instant, absolument intouchable…
Quant à Agrippine, la mère de Néron, elle n'est guère satisfaite - et c'est un euphémisme - du coup de béguin de son fils pour Poppée. Comment pourrait-elle supporter qu'une autre femme menace ses prérogatives, tant au Sénat que dans le lit de son impérial fiston ? Comment pourrait-elle envisager d'un cœur léger que cette pouffiasse de Poppée prenne le pas sur une honnête et digne matrone comme elle. Comment pourrait-elle accepter que cette traînée, avec ses cheveux d'or, son teint d'albâtre, ses seins d'ivoire, ses cuisses de nymphe et son expérience de courtisane de haut vol, lui ravisse le titre de première dame de l'Empire ainsi que sa confortable place sur le trône des Césars, juste à côté de son bon gros Néron ? Elle avait accepté d'un cœur relativement serein - il faut bien que jeunesse se passe et que gourme se jette ! - la liaison de son fils avec Acté. Celle-ci n'était qu'une petite esclave grecque, effacée, discrète et totalement dénuée d'ambition politique ! Mais Poppée, c'est autre chose ! Elle, c'est une vraie garce, et, qui plus est, une garce dangereuse !
Notons aussi que, d'après saint Jean Bouche d'Or (Chrysostome) la gentille et fidèle Acté aurait été chrétienne, tandis que cette peste de Poppée se serait convertie au judaïsme… Mais n'allez pas pour autant taxer saint Jean Bouche d'Or d'antisémitisme… Qu'iriez-vous supputer là !

Fin mars 59 : Néron fait tuer sa mère, Agrippine "la Jeune" à Baules .

Cela se passait en 50-60 de notre ère .
A Rome .
Néron était l'Empereur de la plus grande puissance méditerranéenne de tous les temps .
Son épouse Octavie fut répudiée en 62 et assassinée peu après la même année.
Début 63, Poppée donna naissance à une fille : Claudia Augusta. Néron célébra l'évènement, mais l'enfant mourut quatre mois plus tard. Néron n'avait toujours pas d'héritier.
Le 19 juillet 64, éclata le grand incendie de Rome. Le feu débuta dans les boutiques des environs du Grand Cirque. Néron était alors en vacances dans sa ville natale, Antium, mais il dut revenir en toute hâte. L'incendie fit rage durant six jours. La rumeur circula que Néron aurait joué de la lyre et chanté, au sommet du Quirinal, pendant que la Ville brûlait.
Néron reconstruit son palais dans des dimensions plus grandioses qu'auparavant. Ce nouveau palais, la Maison dorée, va s'étendre sur 80 hectares, débordant la colline du Palatin pour rejoindre celle du Caelius. Entre les deux collines, les jardins et un lac sont agrémentés d'une statue colossale de l'empereur lui-même : 44 mètres de hauteur !
Cette statue colossale va donner son nom actuel à l'amphithéâtre voisin construit peu de temps après : le Colisée .
Et Poppée meurt en 65 .
Le Sénat démit Néron, qui se suicida en se poignardant à la gorge le 9 juin 68.
Avec sa mort, la dynastie julio-claudienne prit fin.
Le Sénat vota sa damnatio memoriae, maudissant sa mémoire. Plusieurs guerres civiles s'ensuivirent lors de l'année 69, année des quatre empereurs.
Le 22 décembre 69, Vespasien est couronné empereur par le Sénat. Il fonde la dynastie des Flaviens à laquelle succéde plus tard celle des Antonins.
Ces deux dynasties constituent 124 années de stabilité politique pour l'Empire romain.
On reste encore profondément marqués par cette apogée de Rome .
Apogée assez époustouflante qui nous a aidé à construire 2000 ans de notre propre Histoire.
Mais Histoire aussi profondément élastique, comme tout ce qui mène le monde d'ailleurs , et aussi l'opéra de Monteverdi.
Clémenceau se disait souvent à l'épectase, après avoir dropé comme un dingue dans les escaliers de Mademoiselle Chambre :
" Monter verdit ! "
A titre indicatif , toute ressemblance des faits cités plus haut avec la chronologie actuelle de ce qui se passe chez nous serait bien évidemment une pure et fortuite coïncidence.
J'espère simplement qu'"il" ne lui viendra pas Halliday de foutre le feu à Paris ! Le reste à la rigueur je peux comprendre .
Sinon j'le balance aux lions .
De Venise , bien sûr !

[wagon lits]

[Barocco]

merci Gérard...:wink: :wink: :wink:
pour ceux qui s'intéressent à cette période de l'Histoire je vous conseille lorsqu'elle passera sur une chaîne française, la série "Rome"... :wink:
nous venons d'en voir la 2e et dernière saison...
très belle reconstitution..assez sanglante ..comme l'époque ...
http://www.ecranlarge.com/article-details-4896.php
http://www.hbo.com/rome/

[Gérard]

L'idée , évoquée plus haut , de faire une relation comparative entre l'opéra baroque et le théâtre élisabéthain est des plus intéressantes .
Le Théâtre du Globe reste pour moi comme un modèle d'une Angleterre fabuleusement vivante , acculée et conquérante , cruelle comme la hache du bourreau des Stuarts .
Bien que le lieu de son exercice , ainsi que les personnages au parterre , n'en fussent pas véritablement un . Modèle .
D'une Angleterre immémoriale . Celle de Marlowe , de Ben Jonson .
" Marlowe , il te faut la taverne ,
Non pour Faust , mais pour y mourir ,
Entre les tueurs qui te cernent ,
De leur poignard et de leur rire .... "
Celle des immenses poètes .
Comme au temps de Molière , la vermine qui surgissait aux détours des carrioles de Jean-Baptiste Poquelin le Grand . Qui y survécut .
Un peu comme dans les " Enfants du paradis " , les loustics du haut , voisin d'un Lacenaire plus récent .
Michel Galabru , ce type absolument extraordinaire , en parle de façon admirable . Unique .
L'art réel n'est pas celui qu'on croit .
Les puritains mirent un terme à tout ce business tapageur , mais étincelant comme le diamant aux poches des divers malfrats et receleurs .

[Joelle]

[Stef*]

Superbe, cette rubrique "Venise en musique"

[Martine]

Joëlle...tu m'émerveilleras toujours...moi la nulle en musique!!!
Merci

[Véra da POZZO]

Bravissimo à Joëlle et Gérard....